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Congo-Brazzaville: Quand Paris Match racontait la chute de Youlou - Aout 1963

L'abbé Youlou annonce sa démission.
Le 15 août, à 15 heures, le président Fulbert Youssou annonce sa démission au téléphone sous les yeux et l'objectif de notre envoyé spécial. © Daniel Camus
Par Daniel Camus , Mis à jour le

En août 1963, l'envoyé spécial de Paris Match, Daniel Camus a vécu dans le palais présidentiel l'instant précis de la révolution au Congo-Brazzaville et la chute de l'abbé Fulbert Youlou, l'homme qui avait conduit son pays à l'indépendance. Voici les deux articles consacrés à ces évènements qui ont forgé le destin du Congo-Brazzaville et dont les échos résonnent encore aujourd'hui.

24/08/1963 "Pour Youlou l'heure de la démission": 

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A bas les dictateurs ! D'Alger au Cap, au Congo comme en Angola, le même cri retentit à travers toute l'Afrique. En Angola, le dictateur que les Noirs angolais veulent chasser est un Blanc : l'obstiné docteur Salazar qui devant le grand souffle de la décolonisation, se dresse tout seul comme don Quichotte. « Sans nous, dit-il, l'Afrique court au malheur. » Au Congo, le dictateur que la foule chasse et conspue est un Congolais, fier, hier encore, d'avoir conduit son pays à l'indépendance politique. Conflits apparemment différents, derrière lesquels se révèle le même visage : celui d'une Afrique qui, en se découvrant, découvre chaque jour un nouveau problème.

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A Brazzaville, la même foule qui réclamait naguère son indépendance et qui l'a obtenue, a chassé l'abbé Fulbert Youlou au cri de : « Les ministres vivent comme des rois, mais nous, nous n'avons pas travaillé depuis six mois ni mangé depuis trois jours ! » A l'intérieur du palais, dans un climat de kermesse, un drame se jouait : revêtu de sa soutane blanche, le président venait de signer sa lettre de démission. II découvrait sa solitude. Dehors, c'était la fête : les hommes se donnaient de grandes tapes dans le dos, levaient les bras en signe de victoire, comme il y a trois ans, le jour de l'indépendance. Seule différence, le héros de la fête, ce n'était plus lui. II voulut se confesser. Les soldats et les gendarmes casqués qu'il avait tant de fois passés en revue, refusèrent de laisser entrer l'évêque- coadjuteur Bemba. Un moment, il craignit pour sa vie, puis il se rassura : la révolution était débonnaire. Il avait soif et il demanda une bouteille de bière. Le chef de la police, en personne, la lui apporta. 

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LA FOULE QUI ACCLAMAIT YOULOU LE HUE. L'ARMÉE QUI LE SALUAIT LE REMPLACE

Les manifestants se heurtèrent aux premiers barrages de la police devant le pénitencier de Brazzaville. Ils le franchirent, pénétrèrent dans le bâtiment et libérèrent tous les détenus parmi lesquels des dirigeants syndicalistes arrêtés la veille. Plusieurs maisons de membres du gouvernement et celle de la mère de Youlou furent incendiées. En deux jours, le président prit trois fois la parole à Radio Congo; la dernière il annonça que le projet de parti unique était remis à une date ultérieure. Le 15 août la foule s'amassa devant le palais présidentiel, hurlant « Youlou, démission ». L'armée qui jusqu'alors n'avait fait que maintenir l'ordre se décida à intervenir pour éviter une effusion de sang. Elle somma le président de s'en aller. II sortit sur le perron et annonça sa décision ; il embrassa les membres de son cabinet puis il se mit à la disposition de l'armée. Auparavant il avait téléphoné à Colombey : « Mon général, je suis forcé de démissionner. »

 31/08/1963: Le coup de téléphone qui a fait tomber Youlou

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Il est 15 heures le jeudi 15 août lorsque l'abbé Fulbert Youlou, en soutane blanche, se résigne à remettre sa démission. « Je suis mêlé, raconte notre reporter, aux conseillers et ministres du président qui se tiennent autour de lui dans son bureau du rez-de-chaussée. » L'abbé Youlou annonce sa décision au moyen d'un téléphone ultra-moderne à un mystérieux interlocuteur, en lui conseillant de s'échapper au plus vite. « Moi, je reste », ajoute t- il. II refuse de se réfugier à l'ambassade de France. S'il avait agi autrement, le pire était à craindre : les soldats congolais, surexcités par la foule, auraient tiré sur les Français gardant l'ambassade. » 

« Le capitaine Mounsaka (ci-dessus en tenue léopard) et le capitaine Moutzabakani font la révolution : ils s'installent à 12 h 45 au bureau présidentiel. La première mesure qu'ils prennent est de se nommer tous deux au grade supérieur. Ils se font commandants. Je vois préparer hâtivement les bagages de Fulbert Youlou. Le lendemain matin, les deux capitaines cèdent la place au nouveau gouvernement que dirige Alphonse Massamba-Debat. Les syndicalistes qui ont été les artisans de la révolution refusent d'en cueillir les fruits : ils déclinent les portefeuilles qu'on leur propose. Je sors dans Brazzaville : la foule est en liesse, bien que les événements de ces journées aient fait deux morts et quatre blessés graves. » 

"J'ai entendu Youlou dire en se rendant: 'Tuez moi si vous voulez' "

Dans les rangs des parachutistes français, je vis passer un grand frémissement. D'instinct, les hommes se mirent en position de défense, le doigt crispé sur la gâchette de leur mitraillette. Les chefs criaient : « Ne bougez pas ! Restez calmes ! »

Deux cordons de soldats se faisaient face devant le palais présidentiel de Brazzaville. Entre eux et les manifestants qui hurlaient « Youlou démission ! Vive la liberté ! », les Congolais. C'était la seule unité de l'armée du Congo qui n'ait pas de cadres français. Ils venaient de relever, sur l'ordre des capitaines Mounsaka et Mouzabakani, d'autres Congolais mais commandés ceux-là par des officiers métropolitains. Ils n'étaient pas là pour protéger Youlou mais pour le combattre. Ils braquaient leurs fusils et leurs mitrailleuses sur les paras français.

L'instant était dramatique. On sentait qu'un geste d'énervement, une fausse manoeuvre, une provocation aurait suffi pour que la tragédie se déchaîne et que la débonnaire révolution de Brazzaville dégénère en massacre affreux. J'étais arrivé le matin même à Brazzaville et avais pu entrer dans le palais présidentiel avec un cameraman de la télévision. Dans les couloirs et les bureaux, on sentait une agitation fiévreuse. Dans une pièce du rez-de-chaussée sur une table, deux téléphones, un rouge et un noir : l'un d'eux communiquait directement avec l'Elysée à Paris. Un homme d'une quarantaine d'années, grand, et la mâchoire énergique, disait : « Ce matin j'ai eu le général de Gaulle. Je lui ai dit : « Mon Général, on est dans une impasse. La situation me paraît sans issue. » Assis par terre, i l y avait un Congolais en costume kaki : N'Zalakanda, ministre de la Justice, qui, bien que démissionnaire, refusait d'abandonner celui auquel il devait sa carrière politique. Soudain, Fulbert Youlou parut, vêtu de sa soutane blanche. Il s'approcha du groupe d'hommes, puis se dirigea vers le fumoir où l'attendait une délégation de syndicalistes venus exiger sa démission.

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A 12 h 45, deux officiers congolais arrivèrent au palais : le premier était en pantalon kaki et veste léopard. Le second en treillis, le front enveloppé de pansements. C'étaient les capitaines Mounsaka et Mouzabakani. Ils demandèrent à voir le président et lui dirent : « Il faut vous retirer sans plus tarder. L'abbé Youlou d'abord fut surpris. Il ne comprenait pas. Et puis la situation lui apparut clairement. L'armée congolaise sur laquelle il comptait était sur le point de l'abandonner. Certains prétendent qu'à ce moment-là, Youlou se serait tourné vers le chef d'état-major de l'armée française en disant : « Que font vos soldats ? Qu'ils tirent donc ! » Moi, je n'ai rien entendu de tel.

Ayant essuyé le refus du président, les deux capitaines s'en allèrent en disant : « Maintenant c'est nous qui exerçons le pouvoir. » Ils ordonnèrent aux Congolais du service d'ordre de se retirer et à leurs propres soldats de les remplacer. C'est à ce moment-là que la catastrophe manqua de se produire.

Dans son palais, Fulbert Youlou semblait désemparé. La volte-face de l'armée lui avait porté le coup de grâce. Les deux capitaines revinrent. Assis dans une chaise en rotin le président les reçut et leur dit : « Surtout ne tirez pas. Je ne veux pas de sang versé. Je m'en vais. » D'une main tremblante, il signa la lettre par laquelle il déclarait abandonner le pouvoir. Un délégué syndicaliste s'en empara et se rua vers les grilles. Il brandit la feuille de papier pour la montrer à la foule qui hurla son enthousiasme.

D'une main tremblante, il signa

Tout le monde se sentit soulagé d'un grand poids. Les visages crispés des soldats français et congolais qui s'épiaient, se détendirent. Dans la rue, les hautparleurs jetaient sans relâche : « Rentrez chez vous ! Tout est fini ! » Tout était fini en effet. Pourtant, à deux reprises le coup d'Etat frôla encore l'irréparable.

C'était au début de l'après-midi. Youlou venait de signer. Ceux qui lui avaient arraché le pouvoir paraissaient un peu dépassés par leur victoire. Les ordres les plus contradictoires s'entrecroisaient et les soldats et les gendarmes congolais ne savaient plus qui écouter. Vers 15 heures, ils firent sortir dans la cour du palais en les poussant baïonnette aux reins, les ministres déchus et leurs collaborateurs. Quelques minutes plus tard, ils les ramenèrent à l'intérieur. Un syndicaliste agitant un journal parisien qui venait d'arriver, criait : « Lisez ! Les étudiants congolais de Paris sont menacés. Ils ont dû fuir à l'étranger. » Le capitaine Mouzabakani, la tête enveloppée de pansements, s'exclama : « Les Français sont nos ennemis s'ils persécutent nos frères. Nous pouvons arrêter tout le monde ici!» C'est alors que nous sommes intervenus. Les étudiants congolais en France, avons-nous dit au capitaine, se sont probablement affolés. Le capitaine Mouzabakani se laissa convaincre et devint amical. Un lieutenant en uniforme léopard, ancien élève de l'école des officiers de Fréjus, nous offrit du champagne et des cigarettes américaines provenant de la réserve personnelle, du président. Dans la cour, fiant aux éclats, des soldats congolais vidaient de pleines corbeilles de papiers. Il y a toujours dans les révolutions un moment où l'on jette des papiers dans la rue. D'autres soldats qui fouillaient dans le tas, trouvèrent une photo prise pendant un dîner officiel de l'Elysée. Elle représentait l'abbé Youlou assis à côté de Mme de Gaulle. La photo passa de main en main. Voulant sans doute emporter un souvenir de cette journée mémorable, un gendarme mit dans sa poche une carte de nouvel an signée Giscard d'Estaing.

Depuis la démission de Fulbert Youlou, j'ai entendu porter sur son compte les pires accusations. Il se serait, lui et ses ministres, enrichi au détriment de l'Etat. Il aurait aussi mené une vie de plaisirs et de débauche. Enfin, Fulbert Youlou était un ecclésiastique d'opérette. Il avait des soutanes multicolores confectionnées par de grands couturiers parisiens, des soutanes aux teintes aussi éclatantes que celles des corsages des femmes que l'on voit dans les rues, leurs cheveux tressés dressés sur le crâne. Prêtre interdit par Rome, il se tenait en permanence à mi-chemin entre la magie et le sacerdoce. Il bénissait les foules qui l'acclamaient, mais dans un coin de son palais les soldats ont trouvé trois ou quatre bouteilles pleines d'un liquide marron où nageaient des morceaux de bois sculpté. Avec une ironie un peu craintive, ils me les ont montrées en disant : « Ce sont les fétiches du président. »

"Je n'ai rien à me reprocher"

La plupart de ces accusations, je les ai entendues sans avoir les moyens de les vérifier. Je peux, par contre, apporter un témoignage. A un moment donné, Youlou a montré qu'il avait de la dignité. Le général Kergaravat, commandant les troupes de la Communauté dans l'ancienne A.E.F., venait de lui renouveler de la part du général de Gaulle l'offre de se réfugier à l'ambassade de France. Pour ceux qui voyaient de Paris les événements, cette offre était normale. La France se devait de protéger le chef d'un Etat ami, menacé par l'émeute. Mais si Fulbert Youlou avait dit oui, la colère des manifestants se serait portée sur l'ambassade de France et alors nos soldats auraient-peut-être dû tirer. Youlou refusa.

Avant de quitter le palais, j'ai entendu Fulbert Youlou dire aux militaires qui le retenaient prisonnier : « Tuez-moi si vous voulez. Mes ministres ont peut-être été malhonnêtes. Moi, je n'ai rien à me reprocher. Le prochain gouvernement connaîtra les mêmes difficultés. Il n'agira pas autrement que moi. » Etait-ce les paroles d'un homme ulcéré, rendu amer par le mauvais sort ? Ou au contraire une vision prophétique de ce qui attend ses successeurs? Youlou passe, dans certaines tribus, pour posséder des dons magiques et son nom est celui d'un fétiche fameux dans les villages de la brousse.

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